Commande dans le cadre de la commémoration des 80 ans de la Retirada
2019 |34 tableaux|
« C’est à partir de ce jour-là que la nuit tomba sur mon âme »
Fernando Lafuente.
Ma famille a traversé les Pyrénées durant la Retirada, cet arrachement à la terre natale synonyme de meurtrissures
et de désolation de la guerre. Comme beaucoup de républicains antifascistes, mon arrière grand-père a été interné
au camp d’Argelès et de Bram plusieurs mois en 1939. Il ne s’agissait pas pour moi d’exhumer des souvenirs douloureux
d’humiliation et de mépris mais de rendre justice aux exilés dont la participation dans la Résistance et la
Libération est indéniable. Courage, liberté, dignité, engagement, résistance, résilience sont les mots qui
ont résonné en moi durant ce travail de création ...
A la fois par hommage et reconnaissance, je me suis imprégnée de mes recherches telle l’enfant de Mnémosyne afin de
créer une nouvelle forme d’expression. Mais quelles sont les couleurs de nos mémoires ? Comme le souligne l’historien
Michel Pastoureau, nos bains de couleurs mémorielles s’inspirent de notre culture et de nos souvenirs d’enfance.
Pour moi, il s’agissait de retranscrire une palette catalane et valencienne constituée de tant de bons moments passés
en famille. Les images peintes en très peu de traits augmentent la distanciation, la neutralisation du sujet pour
naviguer entre mémoire et oubli. Il s’agit pour moi d’entrevoir la puissance de la mémoire à transformer la réalité.
Je travaille formes, traits, couleurs puis soumets les peintures à une technique picturale sophistiquée reposant sur la
chromatographie chimique. Les couleurs migrent, se séparent au cours du temps et varient selon l’inclinaison du support,
la concentration du solvant, les pigments utilisés. Questionnant la vie, le hasard, la mémoire, les images se déforment,
s’effacent et d’autres formes abstraites apparaissent. Ce travail questionne la mémoire toujours défaillante, partielle,
partiale. L’œuvre est entre disparition et continuité. Les traits et les couleurs migrent laissant apparaître une
nouvelle écriture, une nouvelle composition.
En référence au travail de Gerhard Richter, le fait d’effacer l’image n’est pas un repentir mais un fait assumé, un effet
de flou, de hasard des couleurs modifiant la profondeur, la perspective et l’espace de l’image initiale. La chromatographie
forme des sortes d’objets abstraits qui existent vraiment. Alors même que la photographie (et donc l’image d’archive) rend
compte de la réalité, ici c’est la déformation de l’image qui s’avère inscrite dans une présentification des évènements.
Ce sont des évènements passés, qui s’effacent concrètement mais aussi se réinscrivent dans la mémoire collective.
Il s’agit par la mise à nu des éléments picturaux de constituer le fait pictural.
L’historien sait bien que le passé n’est pas seulement ce qui a été, c’est aussi ce que la mémoire en fait .
Je souhaite par là même, que cette série soit une contribution à la connaissance de notre histoire à tous et toutes.
EXPOSITIONS SOLO
Retirada 1949-2019, "L'art dans la tourmente", Hôtel du département, Montauban (09.2019)
Retirada 1949-2019, Galerie Marianne, Argelès-sur-mer dans le cadre des commémorations (01.2019 au 03.2019)